Depuis 2012, la MAS (Maison d'accueil spécialisée) Maison des Oiseaux, à La-Châtre (Indre), accueille 24 adultes autistes et épileptiques. Très vite confronté à la pénurie de neurologues et psychiatres dans la région Centre, l'établissement s'est trouvé dans l'incapacité d'assurer à ses bénéficiaires les soins inhérents à leur handicap. Alors, dès 2013, son association gestionnaire, « À Tire d'Aile », a conçu un programme de télémédecine le reliant au CHRU Bretonneau de Tours (plus précisément au service du Pr Bertrand de Toffol, épileptologue, et au CRA, centre de ressources autisme Centre Val de Loire).
H.fr : Pourquoi une telle initiative ?
Marie-Lucile Calmettes : C'est une question de survie pour les établissements qui se trouvent dans des déserts médicaux. La-Châtre/CHRU de Tours, c'est 2h30 de route, aller. Compliqué pour déplacer nos résidents, cher (il faut un accompagnant et payer un taxi à la charge de la Sécurité sociale), stressant et donc improductif…
H.fr : C'est ainsi que le dispositif appelé « Pégase » a vu le jour…
MLC : Nous l'avons réellement lancé en 2015. Il y a évidemment eu quelques lenteurs au début, le temps que nos équipes soient assez formées, puis à cause des problèmes de connexion. La technique n'est pas compliquée mais exige une préparation minutieuse.
H.fr : Il n'a pas été difficile de convaincre les médecins ?
MLC : Évidemment, aussi bien celui de notre établissement qui a dû changer ses habitudes que le neurologue et le psychiatre de l'hôpital qui pensaient perdre leur temps et ne concevaient pas de travailler à distance. L'hôpital disait avoir d'autres priorités dans ce domaine, comme les maisons d'arrêt ou de retraite. Mais les réticences ont été levées car nous avons été pugnaces, et surtout parce que nous avions un mécène important, l'action sociale de Malakoff Médéric. Il a ensuite fallu former le personnel pour que les dossiers soient correctement préparés.
H.fr : Vous êtes dans l'air du temps puisqu'Emmanuel Macron affirme vouloir encourager la télémédecine…
MLC : Il a en effet déclaré : « Nourrissez-nous de projets et d'idées concrètes ». Eh bien, c'est ce que nous faisons. Pégase est un dispositif précurseur, je crois bien le seul en France entre une MAS et un CHU, et nous avons essuyé suffisamment de plâtres pour pouvoir, aujourd'hui, en faire bénéficier le plus grand nombre. C'est une petite révolution pour les médecins, les établissements médico-sociaux et les hôpitaux qui sont les centres experts sollicités. Le PLFSS (projet de loi de finances de la Sécurité sociale) 2018 prévoit désormais de rémunérer les actes de télémédecine. Ça ne va rien changer pour nous car nous avions déjà un budget dédié au sein de l'établissement ; par contre, on espère que cela va permettre d'ouvrir ce type de pratiques à d'autres…
H.fr : Concrètement, ça se passe comment ?
MLC : Prenons l'exemple d'un résident épileptique qui est suivi en neurologie. Son médecin a besoin de différents examens : un bilan sanguin, éventuellement une séquence vidéo en cas d'épisode de crise (les chambres sont équipées de caméras) et un électroencéphalogramme. Pour ce dernier examen, c'est souvent la croix et la bannière avec les personnes autistes alors, deux fois par an, l'assistante du neurologue le réalise dans la chambre du résident, au calme, puis rapporte les enregistrements à l'hôpital.
H.fr : Ensuite, pour la consultation, tout se fait donc à distance ?
MLC : Oui, un rendez-vous de téléconsultation est pris qui réunit devant un écran le résident, le médecin et l'infirmière du centre, le référent et la famille. Via une « autoroute de télémédecine », on a fait passer les bilans et les résultats. C'est comme s'ils étaient les uns en face des autres.
H.fr : Qu'appelez-vous « autoroute de télémédecine ». C'est envoyé par mail ?
MLC : Bien sûr que non. Le transfert de ces infos confidentielles se fait via un prestataire homologué par l'Agence régionale de santé qui lui a confié la mise en place de cette plateforme de transmission et d'archivage sécurisés. Nous y sommes abonnés.
H.fr : Et en cas d'urgence ?
MLC : Ce dispositif n'a pas vocation à gérer les urgences.
H.fr : Parmi les résidents, qui a pu en bénéficier ?
MLC : Tous ! Plus aucun ne se rend à l'hôpital, sauf en cas d'urgence ou d'hospitalisation.
H.fr : Vous souhaitez essaimer cette pratique ?
MLC : Oui. Les équipes du CHRU et la Maison des Oiseaux ont donc consigné ce nouveau savoir-faire sous un format de guide méthodo/retour d'expériences d'une quarantaine de pages, afin d'aider d'autres établissements médico-sociaux qui voudraient s'engager dans ce processus. Ce serait dommage, à une époque où l'on parle tant de télémédecine, de ne pas le faire connaître. Par ailleurs, nos installations de télémédecine (vidéo et balise de transmission) peuvent être mises à disposition des cabinets médicaux du département pour d'autres types de consultation ou pour l'organisation d'un réseau de santé, télé expertise et télé formation à plus grande échelle. L'arrivée de la fibre dans la ville de La-Châtre va grandement faciliter notre travail.
H.fr : À qui profite ce système ?
MLC : À toutes les parties, y compris l'ARS (Agence régionale de santé) en termes financiers. Pour une structure importante, c'est vraiment rentable. Mais nous ne l'avons pas fait pour cela.
H.fr : Et le secrétariat d'État au Handicap, il en dit quoi ?
MLC : Nous avons proposé Pégase aux membres du Comité interministériel du handicap (CIH), ainsi qu'à la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie). Tous l'ont trouvé formidable, d'autant que lorsqu'on lit la lettre de mission du CIH, il est écrit que la télémédecine doit être favorisée. Pegase pourra aussi servir le nouveau plan autisme, dans le cadre de l'amélioration du repérage des adultes autistes confié aux CRA (centre de ressources autisme) ou autres équipes expertes. Grace à la télémédecine, tous les résidents de la Maison des Oiseaux ont pu être diagnostiqués, évalués et sont maintenant suivis par le CRA de Tours, ce qui n'aurait pas été possible en raison de l'éloignement de notre établissement.
Notre projet était vraiment très précurseur et ne coulait pas de source mais nous avons dû le réaliser car, pour nous, c'était une question de survie et, au final, le bénéfice est tel qu'il mérite d'être valorisé.
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