26/05/2018

Anosmie : Une association dédiée à la perte d’odorat

AFAA Sos anosmie : « Accompagner les personnes qui ont perdu l’odorat »

Rencontre avec Claire Fanchini, chargée de communication pour l’association AFAA Sos Anosmie, l’Association française pour l’ anosmie et l’agueusie, elle-même anosmique depuis trois ans.

Pouvez-vous nous présenter l’association AFAA Sos anosmie ?
L’association est basée à Anglet (64) et a été créée en 2015. Il y a déjà des référents dans plusieurs villes de France : je suis référente dans la région toulousaine, il y a un référent à Paris, et bientôt un en Normandie.

Nous nous sommes fixés 5 objectifs :
– Accompagner les personnes anosmiques.
– Faire reconnaître l’anosmie comme un vrai handicap, par la société et les pouvoirs publics. Car à l’heure actuelle, ce n’est pas le cas. Nous sommes des personnes handicapées qui ne sont pas reconnues comme telles. La MDPH évaluerait à 2% le handicap que représente la perte d’odorat.
– Participer à la recherche. Peu de recherches menées sur l’anosmie. On aimerait faire en sorte d’accompagner les équipes de chercheurs en leur apportant des sujets, des témoignages.

Pouvez-vous nous expliquer ce que sont l’agueusie et l’anosmie ?
L’anosmie est la perte du sens de l’odorat. L’agueusie est la perte du sens du goût. Ces deux handicaps sont souvent associés car l’anosmie, par le phénomène de la rétro olfaction, entraîne une perte de la perception des saveurs, qui constituent elles-mêmes 75% de ce qu’on appelle communément le goût. Bien que souvent associés, l’agueusie et l’anosmie sont donc différentes. L’agueusie serait la perte de la sensibilité qui se trouve au niveau de la langue, donc du salé, du sucré, de l’acide et de l’amer. Alors qu’une personne anosmique perçoit encore ces sensations. Pour autant, les anosmiques ne sentent quasiment plus rien dans leur bouche, en raison du phénomène d’olfaction expliqué plus haut. Pour parler d’anosmie on emploie aussi les termes « hyposmie » et « dysosmie ». L’hyposmie est une perte partielle du sens de l’odorat. La dysosmie est une altération du sens de l’odorat. Certaines personnes sont anosmiques par épisodes. Cela part pendant quelques mois, cela revient… chaque cas est différent.

Quelles peuvent être les conséquences au quotidien ?
L’absence de plaisir lié à l’odorat : L’agueusie et l’anosmie sont des handicaps sensoriels qui empêchent de vivre un quotidien normal. Les conséquences sont nombreuses : une incapacité à bénéficier des plaisirs que nous offre l’odorat, ça peut être l’odeur des fleurs, l’odeur corporelle de son enfant… Je suis moi-même maman, je n’ai jamais pu sentir l’odeur de mon bébé et je trouve cela très triste. C’est aussi l’impossibilité d’apprécier les repas et du coup des difficultés à vivre des moments de convivialité autour de la nourriture. On ne partage plus le plaisir d’un vin ou d’un plat.
Un risque de dépression : Ces handicaps entraînent très souvent une dépression, liée aux privations de la perte d’odorat mais aussi aux difficultés à entrer en contact avec d’autres personnes, à se socialiser. C’est tout notre monde qui est altéré. Du jour au lendemain nous n’avons plus aucune information qui nous arrive au nez, et c’est très déroutant. Quelqu’un qui n’a pas de problème d’odorat sent en permanence des tas de choses sans même s’en rendre compte, à chaque entrée dans un lieu, à chaque personne rencontrée… il y a toujours énormément d’informations qui nous arrivent au nez.
Des mises en danger potentielles : Au-delà de la perte des plaisirs liés au goût et à l’odorat, il y a aussi une mise en danger car on ne sent plus les émanations de gaz, ni la fumée. Si un aliment est avarié on ne peut plus le détecter. Du coup il y a beaucoup d’aliments que je ne mange plus quand je suis seule, de peur qu’ils soient avariés : viande, poisson, œufs… J’ai plusieurs fois eu des problèmes d’intoxication parce que j’avais mangé quelque chose qui n’était pas frais. Je ne le savais pas et je n’ai pas su l’identifier ou trop tard. De même, un jour ma voiture a eu un problème alors que j’étais dans un petit village, et c’est quelqu’un qui m’a alertée sur la route, et qui m’a dit : « Il y a un problème ça sent très fort autour de vous ». Je ne m’en rendais pas compte car il n’y avait ni voyant, ni fumée et l’intérieur de mon moteur commençait à brûler.
Des difficultés identitaires et intimes : Il y a aussi une altération des rapports intimes, car en termes de libido on perd beaucoup, on ne sent plus l’odeur de l’autre et on a une vraie peur de l’odeur de son propre corps. On ne sait pas si on sent bon ou si on dégage une odeur désagréable. Du coup on perd confiance et on se pose tout le temps la question. Ne plus sentir sa propre odeur est aussi déroutant en termes d’identité.
Un impact sur la santé physique : Comme nous n’avons plus la perception des saveurs, beaucoup de gens développent des troubles alimentaires, soit parce qu’ils ne parviennent plus à s’alimenter, soit parce qu’ils vont se réfugier vers des aliments très salés ou très sucrés pour essayer de percevoir les goûts et ressentir des choses dans leur bouche.

Les origines et causes de l’anosmie et de l’agueusie sont-elles connues ?
Nous avons recensé des dizaines de causes possibles. Cela peut arriver n’importe quand à n’importe qui. Il peut suffire d’une simple grippe ou d’un coup sur la tête. Pour ma part c’est arrivé suite à un traumatisme crânien. Des cas d’anosmie ont été recensés suite à des grippes, des rhinopharyngites, des rhinites allergiques, des rhumes, des chocs émotionnels, des méningiomes (sorte de tumeur dans le cerveau qui est venue comprimer la zone olfactive). Nous faisons aussi un peu de prévention, car on sait que certains sprays nasaux décongestionnants ont une composition chimique qui peut venir attaquer la zone olfactive. C’est seulement le cas pour certains types sprays nasaux, mais il vaut mieux le savoir.

D’autres personnes naissent sans odorat et sans bulbe olfactif (anosmie congénitale). C’est aussi pour ces personnes que nous sommes là, pour les accompagner et faire en sorte que l’anosmie congénitale soit détectée très tôt. Lorsque des enfants naissent sans odorat, personne ne le détecte au départ. Quand on leur demande s’ils aiment un aliment, on leur parle de goût et d’odeur, et ils ne savent pas ce qu’est une odeur. Donc ils sont perdus. On leur parle de choses qu’ils ne comprennent pas. Tandis qu’ils avancent en âge, ils ont tendance à mettre en place des stratégies pour se cacher. Ils ont parfois honte de ne rien sentir. Certains disent : « Je croyais que j’étais nul en odeurs ». Un jour une dame nous a raconté que quand elle était petite fille elle avait dit à sa famille : « J’aimerais changer de nez » … et que tout le monde a ri en pensant qu’elle parlait de rhinoplastie. Alors qu’elle voulait juste pouvoir sentir, mais elle n’a pas su l’exprimer et après ces rires elle n’en n’a plus jamais parlé, parce que tout le monde s’était moqué d’elle.

Quelle peut être l’évolution de l’anosmie et de l’agueusie ?
L’odorat peut revenir totalement ou partiellement dans certains cas. Cela dépend de la cause ou de l’importance du traumatisme crânien si c’est ce qui a provoqué l’anosmie. Si la personne a le nerf olfactif sectionné, ça ne peut pas guérir. Par contre, si c’est des bulbes olfactifs qui ont été endommagés, la rémission reste possible. La spécialiste que j’ai rencontrée, à l’hôpital Lariboisière, m’a dit qu’elle avait elle-même un ami qui était devenu anosmique suite à un accident, et qu’il a récupéré une grande partie son odorat au bout de 15 ans. Ce qui donne un petit peu d’espoir aux autres. En tout cas, les études ont démontré qu’il y a un réel bénéfice à faire des exercices et sollicitations de l’olfaction pour la récupération de l’odorat. On nous parle aussi d’acupuncture… je pense qu’aucune piste n’est à écarter.

Existe-t-il des traitements pour l’anosmie et l’agueusie ?
Cela dépend des causes de l’anosmie. J’ai rencontré une dame qui était devenue anosmique parce qu’elle souffrait de gastrite. La gastrite a été soignée et elle a pu récupérer son odorat. Les spécialistes conseillent d’essayer de rééduquer l’odorat. Même si on ne sent rien. Faire soi-même des exercices d’olfaction, par exemple de prendre des fioles dans lesquelles il y aurait des aliments familiers (cumin, curry, menthe…) et dont il est plus facile de se souvenir que les autres. L’idée étant de stimuler la plasticité du cerveau pour reconstruire et inciter les neurones à se dire qu’il y a encore du boulot à faire, et que notre zone olfactive ne se dise pas qu’elle ne servira plus jamais. Aux États-Unis, des chercheurs essayent de mettre en place une thérapie génique, mais je ne sais pas à quel stade en sont leurs travaux.

Y a-t-il des alternatives pour conserver un attrait pour la nourriture ou y retrouver du plaisir à manger ?
Effectivement. À force d’essayer des aliments et de voir ce qui nous procure un minimum de sensations, nous parvenons à identifier ce qui nous est agréable. Du coup l’idée de l’association, c’est notamment d’aider des personnes anosmiques à retrouver des aliments agréables à manger en s’appuyant sur l’expérience d’autres personnes anosmiques. Nous pouvons ainsi les orienter vers des aliments qui nous semblent particulièrement agréables à nous. On a remarqué par exemple que l’on aime beaucoup les salaisons, parce que c’est salé, et parce qu’il y a une texture grasse. Le saumon fumé est aussi agréable, pour sa texture et son goût salé. C’est vraiment sur ces questions de texture que l’on essaye de travailler, et je vois bien que maintenant, un plat qui est sec ou sans sauce m’est immangeable… car je n’ai vraiment plus de saveurs. Je vais donc rechercher des choses plus onctueuses, grasses, avec des textures variées dans la bouche, du croustillant ou du moelleux.
Bernard, président de notre association, a également trouvé des alternatives : « La difficulté à se nourrir vient du fait qu’on identifie plus l’aliment, donc nous n’avons plus que la structure dans la bouche. Ma solution a été de manger des choses qui s’avalent facilement, des soupes moulinées, des yaourts à boire… Le but étant de manger correctement et de rendre le moment du repas le moins pénible possible. Les bananes conviennent bien aussi car elles sont identifiables en bouche, elles sont riches en nutriments et vitamines… elles ont une touche sucrée et il n’y a pas besoin de mastiquer ».

Peut-on estimer le nombre de personnes touchées par l’ anosmie et l’agueusie ?
Une étude a été menée par le docteur Moustafa Bensafi, directeur de recherche au CNRS à Lyon.  Il aurait ainsi estimé à 4% le nombre de personnes touchées par l’anosmie en France. Ce qui est énorme car cela représenterait plus de 2 500 000 personnes. Ce qui semble possible, car nous avons assisté avec les membres de l’association au Congrès de l’olfaction de Paris (qui réunissait des industriels de la cosmétique et de la parfumerie), et nous y avons rencontré plusieurs anosmiques – qui étaient là non pas pour l’anosmie mais simplement parce qu’ils faisaient partie de la communauté des parfumeurs. C’est assez intéressant de voir que sur 200 personnes, nous étions au moins 4 personnes anosmiques, et pourtant sur un salon dédié aux parfums.
Selon la même étude, il y aurait également 10% de personnes touchées par des troubles de l’odorat en France (anosmie, hyposmie, dysosmie). Quant à l’agueusie, je ne dispose pas d’informations chiffrées, mais ils seraient moins nombreux que les anosmiques.

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
L’une des grandes difficultés des anosmiques, au-delà de la souffrance que ça représente, c’est de se confronter au fait que très peu de personnes peuvent nous aider, même les ORL ne sont pas formés. Nous devons rechercher les quelques spécialistes qui existent en France, se diriger vers eux, attendre un certain temps pour obtenir un rdv… Pendant tout ce temps-là, on est confrontés à des médecins qui ne nous aident pas beaucoup parce qu’ils ne connaissent pas bien l’anosmie, mais aussi à nos proches qui ont tendance à minimiser ce qui nous arrive. Parce qu’ils ne peuvent pas se rendre compte. C’est aussi ce qui fait que les gens peuvent avoir tendance à se replier sur eux, à ne plus en parler. Ils ne veulent plus entendre : « Ce n’est pas si grave ». On l’entend tout le temps…

Plus d’infos sur : www.sos-anosmie.com

Les commentaires sont fermés.