01/09/2018

Sexualité : que désirent les personnes handicapées ?

Une maman pour son fils de 29 ans : « Il vit en institution spécialisée. Nous pouvons recevoir à notre domicile familial, il est très dépendant d'une tierce personne. Qu'il apprenne à se masturber.» Un homme de 44 ans : « Je cherche plaisir sensuel et sexuel pour apprendre à découvrir mon corps. ». Une femme de 23 ans : « Des caresses et des baisers, de la tendresse, de la douceur. Ou de la sexualité. » A quoi ressemble la sexualité des personnes handicapées, quelles sont leurs attentes ?

3 formations inédites en France

Pour le savoir, l'Appas (Association pour la promotion de l'accompagnement sexuel) publie, le 17 mars 2016, la première étude sur la situation de l'accompagnement sexuel des personnes en situation de handicap en France, conduite par Akim Boudaoud, psychologue-sexologue et vice-président de l'association (édito en lien ci-dessous). Au même moment, a lieu la troisième formation à l'accompagnement sexuel organisée par l'Appas, à Erstein (Bas-Rhin). La première édition fut initiée près de Strasbourg en mars 2015, suscitant un vaste engouement médiatique et un débat sociétal (article en lien ci-dessous) ; c'est à la suite de cette cession que l'association a ouvert sur son site une rubrique permettant à ceux qui le souhaitent de solliciter un accompagnement. Cette étude vise donc à synthétiser la diversité des demandes formulées par les personnes en situation de handicap et leurs proches.

155 demandes analysées

Sur 180 demandes reçues, 155 ont pu être analysées. Selon l'Appas, cette étude  a « su traduire en mots et en « maux » la réalité d'êtres humains dépossédés de ce qui lui permet « d'être » comme tout le monde ». Comme une première photographie de la population française concernée par cette question, qui, selon ses promoteurs, vise à « démystifier la question de l'accompagnement sexuel et de voir un peu plus clair sur un sujet polémique ». Elle s'inscrit dans le cadre de l'observatoire de la santé sexuelle que l'Appas est en train de créer. Selon Marcel Nuss, son président, « cette première étude traduit la réalité de l'intimité et de la vie affective et sexuelle des personnes en situation de dépendance. Elle va nous permettre de mieux les comprendre et de mieux les accompagner. »

Seulement 5% de femmes

Les personnes qui se sont manifestées sont âgées de 18 à… 94 ans ! Ce sont surtout des hommes (la population féminine ne représente que 5% des sollicitations), principalement de 26 à 35 ans (29% des demandes) et de 36 à 45 ans (23%). Tous handicaps confondus. Le handicap moteur est cependant la principale limitation observée devant les handicaps psychiques, manifestés par un dysfonctionnement de l'expression des émotions, de l'affection et de la communication. Les personnes concernées par les demandes d'accompagnement ne partagent pas le même mode de vie ; la majorité déclare vivre seule, juste devant la catégorie des personnes vivant en famille (père, mère, deux parents, sœur ou fils). La frange des personnes vivant en couple ou en institution se révèle ainsi minoritaire. La plupart des demandes ont été formulées par la personne concernée. Cependant, certaines ont eu besoin d'un tiers pour écrire leur besoin ; il s'agit alors de proches (familles) ou auxiliaires de vie (exerçant en milieu institutionnel ou privé). La première demande concerne l'acte sexuel ; elle s'exprime plus particulièrement chez les 36-45 ans et les 26-35 ans. Viennent ensuite les câlins et le toucher, puis l'affection, la tendresse et la confiance en soi.

Depuis plus de trente ans, en Europe, les personnes handicapées sont en mesure de bénéficier de services d'accompagnants sexuels professionnels. Marcel Nuss, lui-même en situation de dépendance vitale, interpelle la société sur cette question qui continue à faire débat depuis des années en France.

Pour se procurer l'intégralité de cette enquête, contact par mail :communicationappas@gmail.com

© Antonioguillem/Fotolia

Vie intime dans les institutions : l'amour interdit ?

Nouveau sur handicap.fr en 2017. Chaque mois, votre media en ligne vous propose un vaste dossier thématique. En février, mois de la Saint Valentin, c'est l'amour et la vie affective et sexuelle qui sont à l'honneur.

« Tous aspirent à la rencontre et au partage ». C'est l'une des premières remarques de Jennifer Fournier lorsqu'il lui est demandé ce à quoi ses travaux de recherche ont abouti. Silhouette fine, grand sourire et cheveux châtains, cette docteur en sciences de l'éducation à l'université Lumière Lyon 2 a conduit, durant six ans, une thèse sur la vie amoureuse et intime de personnes en situation de handicap moteur au sein d'établissements médico-sociaux en Rhône-Alpes.

Comprendre « l'écart »

Intitulé « La vie intime, amoureuse et sexuelle à l'épreuve de l'expérience des personnes en situation de handicap : l'appréhender et l'accompagner », ce projet de recherche de longue haleine l'a conduite à exercer le métier d'animatrice de groupes de parole sur la vie intime. Dirigée par l'anthropologue Charles Gardou, spécialiste des questions de handicap, sa thèse est disponible sur le site de l'université Lyon 2 (en lien ci-dessous). Pourquoi avoir choisi ce sujet ? « Je voulais comprendre, entre autres, un certain écart perçu entre les professionnels de ces établissements et les personnes dont ils s'occupent », explique la chercheuse.

Plusieurs prises de parole

Pour ce faire, trois recueils de données ont été réalisés : un questionnaire de 12 questions adressé aux personnes pour évaluer leur contexte de vie en établissement et « savoir dans quels espaces on parle de la vie amoureuse » ; la participation à des groupes d'analyses et de pratiques de professionnels, qui échangent sur le cadre relationnel et le lien entretenu avec les personnes, puis des séries de questions posées à 40 groupes de paroles issus de différents établissements, dont des foyers d'accueil de jour. « J'ai été formée pendant quelques jours pour animer ces groupes, confie la jeune femme. Mais j'ai mis un an à intégrer les groupes de professionnels, qui sont beaucoup plus fermés. »

Manque d'intimité

Que dévoilent ces recherches ? Dans l'ensemble, les attentes des hommes et des femmes sont les mêmes : faire des rencontres, sentimentales et/ou érotiques, entretenir une relation, voire fonder une famille. Mais le manque de confidentialité – il est interdit de fermer sa chambre ou son studio à clé –justifié pour des raisons de sécurité, empêche l'accès à une intimité sereine. « Pendant longtemps, la vie amoureuse était interdite dans ces établissements, explique Jennifer Fournier. Cette idée d'interdit continue d'être véhiculée par les personnes. ». La jeune femme remarque par ailleurs que ces contraintes sont bien souvent tempérées par la crainte de la solitude, qui reste, selon les résidents, la pire des situations.

« Tu ne laves pas le capot de ta voiture ! »

Tisser un lien de complicité avec les professionnels qui les prennent en charge fait également partie des aspirations de la plupart des personnes prises en charge dans ces établissements, selon Jennifer. « En revanche, les référents perçoivent ce besoin de complicité de façon péjorative et tentent de l'éviter en adoptant des attitudes souvent vécues, en face, comme des humiliations », constate-t-elle. Cette recherche de sollicitude, mal reçue, fait par exemple s'opposer gestes techniques et tendresse, d'où des remarques parfois très incisives : « Attention, t'es pas en train de laver le capot de ta voiture ! », entre autres phrases prononcées à l'encontre d'un professionnel. Autre constat déconcertant : « Lorsque les professionnels évoquent, entre eux, la vie amoureuse des personnes dont ils s'occupent, ils ne parlent jamais des relations entre des « couples de personnes handicapées » mais plutôt de sentiments à leur égard, qui sont à sens unique. Une forme d'amour lui aussi handicapé », remarque la chercheuse. À sa connaissance, aucun dispositif de médiation entre personnes et professionnels n'existe aujourd'hui dans les établissements où elle s'est rendue.

Perçus comme des êtres de besoin

Ses conclusions arrivent toutes à une même vision, dite « essentialiste », selon laquelle les personnes en situation de handicap sont uniquement perçues via le prisme de leur déficience. Elles invitent aujourd'hui Jennifer à se poser d'autres questions : pourquoi n'y a-t-il pas révolte au sein de ces groupes ? Pourquoi le modèle psycho-social (par opposition au modèle médical), n'est-il pas davantage promu au sein des établissements ? Ce modèle, qui stipule que la situation de handicap est créée par l'environnement, c'est-à-dire par la société et son organisation, est pourtant promu par CIF (Classification internationale du fonctionnement), établie par l'OMS (Organisation mondiale de la santé) et entérinée par l'Assemblée mondiale de la santé en 2001.

Un colloque en juin 2017

Ces questions seront évoquées lors du colloque « Désir et aimer, quelle liberté ? Construction des savoirs et transmissions », le 14 juin 2017 à l'université Lyon 2, en présence de Charles Gardou. L'occasion de croiser différents regards autour de la vie affective et sociale des personnes en situation de handicap.

© Fotolia + DR Fournier

 

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Handicap : des consultations "sexualité" remboursées

La sexualité et l'intimité, un droit fondamental pour tous ? Oui, répond Bond Moyson, une mutuelle de Flandre orientale (Belgique) qui, depuis le 1er janvier 2018, inscrit dans ses offres le remboursement d'une nouvelle prestation dédiée aux personnes âgées et handicapées.

Une association militante

Les membres qui font appel aux services d'Aditi se verront en partie rembourser leur consultation (40 euros sur 90). Cette association, membre de l'European platform sexual assistance, fournit des conseils, des informations et un soutien sur les soins de sexualité et d'intimité adaptés aux personnes handicapées et âgées. Concrètement, la séance consiste en une conversation avec un psychologue ou un sexologue afin de proposer des solutions pratiques ; le cas échéant, ce peuvent-être des massages tantriques ou la visite à domicile d'un « fournisseur de service sexuel » qui propose une relation intime contre paiement (cette prestation n'est pas remboursée). Interdit en France car assimilé à de la prostitution (article en lien ci-dessous), l'accompagnement sexuel destiné aux personnes handicapées est autorisé en Belgique.

Soins alternatifs ?

Cette décision de Bond Moyson intervient dans un contexte où de plus en plus de mutuelles consentent à diversifier leur prise en charge et encouragent les alternatives à la médecine dite traditionnelle, comme l'ostéopathie, l'acupuncture, l'hypnose. Et même la pratique sportive adaptée aux personnes atteintes de maladies chroniques (en ALD), ce qui est le cas, notamment, en France, de la Maif (article en lien ci-dessous). Mais le déploiement de cette offre dédiée à la sexualité s'avère pour le moins inédit ; elle est pourtant conforme aux orientations de l'OMS (Organisation mondiale de la santé) qui défend le principe de « santé sexuelle ». En Belgique, du côté francophone, aucune mutuelle n'offre ce type de remboursement.

En France, seules les consultations chez un médecin sexologue, titulaire du DIU, sont remboursées par la Sécurité sociale, à hauteur de 70%, avec un complément de la mutuelle, à condition qu'elles soient motivées par un besoin médical et non de confort. Les personnes handicapées y trouveront-elles des conseils aussi avisés ?

© tiagozr/Fotolia

 

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Keskesex : le jeu qui brise les tabous sur sexe et handicap

Peux-tu être nu(e) dans le couloir des résidences ? Dans quels lieux peut-on faire l'amour quand on est amoureux ? Laisse-t-on la porte ouverte aux toilettes publiques ? Parce que les questions d'ordre affectif et sexuel font aussi partie du quotidien des personnes avec un handicap mental, l'Unapei (fédération de personnes handicapées mentales) de l'Oise s'engage sur ce sujet, encore tabou. C'est ainsi qu'en 2013 le jeu au nom sans équivoque, Keskesex, voit le jour. Cet « outil pédagogique innovant a été inventé par les équipes éducatives pour permettre à des personnes déficientes intellectuelles de réfléchir sur les relations affectives, sentimentales et sexuelles », explique Patricia Horta, sa directrice générale.

Un support ludique

Il passe en revue différents thèmes, comme les normes sociales, l'intimité, la vie affective, l'hygiène et santé ou les émotions. Une fois la question posée par l'animateur du jeu, le résident doit répondre correctement pour obtenir une pièce de puzzle. La partie se termine lorsqu'un des joueurs a complété son puzzle, où figurent des personnages. L'occasion pour tous de libérer la parole et d'engager une éducation sexuelle de manière ludique. Le format s'est présenté comme une évidence pour Martine Michel, directrice du pôle habitat de la structure : « Nous étions confrontés à la gestion de situations compliquées. Dans le secteur habitat, tous les ingrédients sont réunis pour qu'il y ait des manifestations de la vie affective et sexuelle, c'est ce qui nous a encouragé dans cette voie ». Le projet « a germé durant une formation proposée aux salariés de l'Unapei de l'Oise, selon Cécile Lecoq, monitrice-éducatrice, et, à partir de là, est venue l'idée de créer un jeu de société, qui serait un des supports permettant d'aborder cette question. »

Un succès national

Après avoir conçu une première maquette, les équipes l'ont soumise aux résidents de l'Adapei de l'Oise, comme l'explique Cécile Lecoq : « La création des questions s'est faite en petite équipe pluridisciplinaire et, ensuite, pour pouvoir les affiner, nous avons rencontré des résidents pour les leur soumettre, ce qui nous a amenés à en remanier certaines pour être plus précis ». Après quelques années d'expérimentation et d'adaptation, un Esat (établissement et service d'aide par le travail) de l'Adapei de l'Oise élabore un prototype en vue de le manufacturer et de le diffuser dans les établissements et services de l'association, à l'échelle nationale. Cécile Lecoq se réjouit : « Maintenant que ce jeu existe, il va pouvoir être diffusé au plus grand nombre ». Du côté des résidents, l'enthousiasme est le même ; Tiffany, l'une d'entre eux, confie : « Je suis plus sereine dans ma peau depuis que j'ai découvert ce jeu. C'est génial. ».

En 2018, Keskesex a été primé par un prix Ocirp qui récompense les actions des acteurs économiques œuvrant pour l'insertion sociale des personnes en situation de handicap, dans la catégorie « vie affective et sexualité ».


Voir la vidéo UNAPEI DE L'OISE