08/05/2018

L'APF change de nom et s'ouvre à d'autres handicaps

Handicap.fr : Le 18 avril 2018, l'Association des paralysés de France annonce qu'elle s'appelle désormais APF France handicap. Pourquoi ce changement d'identité ? 
Alain Rochon : Depuis que je suis à l'APF, j'ai toujours entendu parler de changer de nom pour une raison simple : le terme "paralysés", à une époque ultra médiatisée, peut paraître restrictif et ringard et ne correspond plus à l'image que veut donner notre association.

H.fr : Il est vrai que l'APF c'est une longue histoire...
AR : Elle a en effet été créée en 1933 par des personnes atteintes de poliomyélite.

H.fr : Vous annoncez, à cette occasion, vouloir sortir du champ du handicap moteur, qui vous identifie pourtant depuis des décennies. Pour quelle raison ?
AR : Dès 2011, nous avons porté un projet associatif qui affirmait notre ouverture à d'autres types de handicap et des sujets portés par la société civile. En 2017, suite à un long processus de consultation interne, nous avons donc modifié nos statuts en ce sens, voté par les deux-tiers de nos adhérents, et acté notre changement de nom. Nous avons tout de même conservé APF car tout le monde le connait.
Prosper Teboul : Cela a été évidemment une question importante en interne mais il faut nuancer ; nous ne sommes pas ouverts à tous les handicaps mais à d'autres handicaps et pathologies, avec une marque très forte en faveur du handicap moteur ou de la sclérose en plaques qui sont en quelque sorte notre cœur de métier. Mais nous accompagnons également des personnes atteintes d'épilepsie, de maladies chroniques, neurologiques, dégénératives voire de handicap psychique. Autre exemple d'une récente spécialisation : les patients jeunes atteints de la maladie de Parkinson. Enfin, à travers les Camsp (Centre d'action médico-sociale précoce) que nous gérons, et qui ne sont plus dédiés à un handicap spécifique, nous accompagnons également des enfants autistes. Concernant le polyhandicap, n'oublions pas qu'il inclut aussi la déficience intellectuelle et, dans ce domaine, un vrai travail a été réalisé, avec un projet APF dédié.

H.fr : Comment ce nom a-t-il été choisi ? 
AR : Il existait déjà un fonds de dotation APF France handicap et nous nous sommes dit que ça collait parfaitement. Le mot handicap reste malgré tout au singulier donc nous ne prétendons pas représenter tous les types de handicap même si nos statuts permettent d'avoir, par exemple, un président non-voyant.

H.fr : Cette évolution était-elle déjà perceptible à travers l'accueil que vous proposez au sein de vos établissements médico-sociaux ? 
AR : En effet, sans arrogance et avec une certaine humilité, cela traduit déjà ce qui se passe dans nos structures qui accueillent des personnes avec un handicap moteur mais souvent, aussi, des troubles associés. Par ailleurs, nos délégations observent que de plus en plus de questions qui leurs sont posées ne relèvent plus exclusivement du handicap moteur. Nous n'avons donc fait que traduire ce qui existait déjà dans nos structures.

H.fr : Vos professionnels se sentent-ils en capacité de faire face à cette diversification ? 
PT : Il y a eu, face à cette ouverture, un questionnement légitime de leur part, et nous avons donc mis en place progressivement des formations, des accompagnements sur tel ou tel type de handicap. Cette dynamique va se poursuivre de manière continue et s'amplifier avec la transition inclusive, terme que nous préférons à celui de désinstitutionalisation, qui va marquer les prochaines années.

H.fr : Votre nouveau logo reste malgré tout identifié au fauteuil roulant ? 
AR : Il fallait quand même garder un signe qui nous ressemble. Plus globalement, c'est le fauteuil qui a tendance à figurer le handicap.

H.fr : Vous avez néanmoins rendu ce fauteuil plus dynamique... 
AR : Oui, on lui a enlevé ses petites roues qui pouvaient représenter un frein. Il répond ainsi davantage au goût du jour en termes de dynamisme. Je fais partie du conseil d'administration du COJO (Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques) de Paris 2024 et j'ai peut-être dans mon inconscient l'idée que, pour aimer la vie, il ne faut pas rester statique.

H.fr : Pourquoi dites-vous que ce logo est accessible aux personnes déficientes visuelles ? 
PT : Nous avons fait attention à ce que les contrastes soient clairement marqués et veillé à ce que les personnes déficientes visuelles puissent ainsi saisir les nuances. Notre nouveau site, en ligne depuis février 2017, répond d'ailleurs à ces critères d'accessibilité.

H.fr : Comment les autres associations gestionnaires "tous handicaps" jugent-elles cette orientation aujourd'hui pleinement affichée ? 
AR : Nous étions ce matin même (le 20 avril) en réunion inter-associative et je n'ai pas entendu de remontées négatives. 
PT : Nous avons même plutôt des échos très positifs car certains de nos projets sont déjà menés en partenariat avec de nombreuses associations. Avec EPI Bretagne, par exemple, nous avons mis en place des logements inclusifs pour des personnes épileptiques ou avec un handicap moteur. Il n'y a pas de concurrence avec les grosses associations car nous ne sommes pas sur le même champ ni dans le même mode de gouvernance. Celle qui nous ressemble le plus sur le mode organisationnel et dans l'articulation bénévoles/professionnels est sans doute la Croix-Rouge française, avec qui nous avons d'excellents liens.

H.fr : Quant à vos adhérents avec une déficience motrice, ne redoutent-ils pas d'être moins bien défendus ? 
AR : La question s'est posée dès 2011 avec notre projet associatif "Bouger les lignes !". Certains étaient inquiets : "Jusqu'où va-t-on s'ouvrir ? N'allons-nous pas perdre notre âme ?". Mais l'ouverture était déjà en marche. C'est dans nos valeurs et nous souhaitons vivre avec tout le monde. La tolérance de la différence est naturelle. Dans beaucoup d'activités qui sont organisées par nos délégations ou nos établissements, il n'y a pas que des personnes avec une déficience motrice. Et puis, lorsque j'évoque un sujet avec le gouvernement, je ne parle pas "handicap moteur" ; j'ai déjà un langage très large et j'évite de faire du catégoriel, qui va même au-delà des questions de handicap.
PT : Depuis ces dernières années, notre association est en effet de plus en plus ancrée dans l'économie sociale et solidaire, portant, par exemple, les mêmes revendications que la FAS (Fédération des acteurs de la solidarité), Emmaüs ou ATD quart-monde. Nous menons les mêmes combats, que l'on soit en situation de handicap ou de précarité. Nous l'affirmons aujourd'hui dans nos statuts et, lors de notre congrès national en juin 2018, nous allons réaffirmer ces axes majeurs dans le cadre de notre projet associatif qui sera réactualisé.

H.fr : Pourquoi la présence du mot France était-elle souhaitée ? 
PT : Il était déjà dans Association des paralysés de France et signifie ainsi que nous agissons sur tout le territoire. Notre nouveau nom est aussi une ouverture vers l'international en tant qu'organisation française. D'ailleurs nous avons déjà plusieurs initiatives dans le cadre des fonds européens et des partenariats avec d'autres associations comme la Once (Espagne) ou l'Algérie...
AR : Nous étions la seule association française du champ du handicap présente lors de l'assemblée générale de l'ONU en juillet 2017, à New-York, pour une rencontre sur le thème de l'éradication de la pauvreté.

H.fr : Comptez-vous mener également des actions en faveur des personnes avec un handicap mental ? Si oui, n'est-ce pas le terrain de prédilection de l'Unapei ?
PT : Le handicap mental n'est ni notre cœur de métier ni notre expertise. Mais, comme je le soulignais en prenant l'exemple du polyhandicap, nous accompagnons déjà les mêmes publics.
AR : Nous sommes souvent sollicités pour des reprises d'établissements et, à chaque fois, notre questionnement est le suivant : quel sens cela aurait pour notre association, pour la structure concernée et pour les personnes accueillies ?

H.fr : De plus en plus d'associations se créent en faveur de pathologies très précises, très anglées. Cette dilution tous handicaps ne va-t-elle pas à contre-courant ? 
AR : APF France handicap est capable de défendre n'importe quelle cause quelle que soit la nature du handicap. C'est un peu le Généraliste du handicap avec une vision universelle.

H.fr : Est-ce que ce nouvel axe renforce votre poids et votre légitimité auprès des pouvoirs publics ? 
AR : Je ne pense pas que cela va changer quoi que ce soit. A l'ère macronienne, APF France handicap a un avantage c'est qu'elle est incontournable, de par son poids, sa militance et son expertise, même si nos ministres préfèrent parfois privilégier des associations plus modestes ou mettre en avant les personnes handicapées qui ont réussi...

© Photo Alain Rochon : Nicolas Gallon / contextes

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