27/01/2018

Vie intime dans les institutions : l'amour interdit ?

« Tous aspirent à la rencontre et au partage ». C'est l'une des premières remarques de Jennifer Fournier lorsqu'il lui est demandé ce à quoi ses travaux de recherche ont abouti. Silhouette fine, grand sourire et cheveux châtains, cette docteur en sciences de l'éducation à l'université Lumière Lyon 2 a conduit, durant six ans, une thèse sur la vie amoureuse et intime de personnes en situation de handicap moteur au sein d'établissements médico-sociaux en Rhône-Alpes.

Comprendre « l'écart »

Intitulé « La vie intime, amoureuse et sexuelle à l'épreuve de l'expérience des personnes en situation de handicap : l'appréhender et l'accompagner », ce projet de recherche de longue haleine l'a conduite à exercer le métier d'animatrice de groupes de parole sur la vie intime. Dirigée par l'anthropologue Charles Gardou, spécialiste des questions de handicap, sa thèse est disponible sur le site de l'université Lyon 2 (en lien ci-dessous). Pourquoi avoir choisi ce sujet ? « Je voulais comprendre, entre autres, un certain écart perçu entre les professionnels de ces établissements et les personnes dont ils s'occupent », explique la chercheuse.

Plusieurs prises de parole

Pour ce faire, trois recueils de données ont été réalisés : un questionnaire de 12 questions adressé aux personnes pour évaluer leur contexte de vie en établissement et « savoir dans quels espaces on parle de la vie amoureuse » ; la participation à des groupes d'analyses et de pratiques de professionnels, qui échangent sur le cadre relationnel et le lien entretenu avec les personnes, puis des séries de questions posées à 40 groupes de paroles issus de différents établissements, dont des foyers d'accueil de jour. « J'ai été formée pendant quelques jours pour animer ces groupes, confie la jeune femme. Mais j'ai mis un an à intégrer les groupes de professionnels, qui sont beaucoup plus fermés. »

Manque d'intimité

Que dévoilent ces recherches ? Dans l'ensemble, les attentes des hommes et des femmes sont les mêmes : faire des rencontres, sentimentales et/ou érotiques, entretenir une relation, voire fonder une famille. Mais le manque de confidentialité – il est interdit de fermer sa chambre ou son studio à clé –justifié pour des raisons de sécurité, empêche l'accès à une intimité sereine. « Pendant longtemps, la vie amoureuse était interdite dans ces établissements, explique Jennifer Fournier. Cette idée d'interdit continue d'être véhiculée par les personnes. ». La jeune femme remarque par ailleurs que ces contraintes sont bien souvent tempérées par la crainte de la solitude, qui reste, selon les résidents, la pire des situations.

« Tu ne laves pas le capot de ta voiture ! »

Tisser un lien de complicité avec les professionnels qui les prennent en charge fait également partie des aspirations de la plupart des personnes prises en charge dans ces établissements, selon Jennifer. « En revanche, les référents perçoivent ce besoin de complicité de façon péjorative et tentent de l'éviter en adoptant des attitudes souvent vécues, en face, comme des humiliations », constate-t-elle. Cette recherche de sollicitude, mal reçue, fait par exemple s'opposer gestes techniques et tendresse, d'où des remarques parfois très incisives : « Attention, t'es pas en train de laver le capot de ta voiture ! », entre autres phrases prononcées à l'encontre d'un professionnel. Autre constat déconcertant : « Lorsque les professionnels évoquent, entre eux, la vie amoureuse des personnes dont ils s'occupent, ils ne parlent jamais des relations entre des « couples de personnes handicapées » mais plutôt de sentiments à leur égard, qui sont à sens unique. Une forme d'amour lui aussi handicapé », remarque la chercheuse. À sa connaissance, aucun dispositif de médiation entre personnes et professionnels n'existe aujourd'hui dans les établissements où elle s'est rendue.

Perçus comme des êtres de besoin

Ses conclusions arrivent toutes à une même vision, dite « essentialiste », selon laquelle les personnes en situation de handicap sont uniquement perçues via le prisme de leur déficience. Elles invitent aujourd'hui Jennifer à se poser d'autres questions : pourquoi n'y a-t-il pas révolte au sein de ces groupes ? Pourquoi le modèle psycho-social (par opposition au modèle médical), n'est-il pas davantage promu au sein des établissements ? Ce modèle, qui stipule que la situation de handicap est créée par l'environnement, c'est-à-dire par la société et son organisation, est pourtant promu par CIF (Classification internationale du fonctionnement), établie par l'OMS (Organisation mondiale de la santé) et entérinée par l'Assemblée mondiale de la santé en 2001.

Un colloque en juin 2017

Ces questions seront évoquées lors du colloque « Désir et aimer, quelle liberté ? Construction des savoirs et transmissions », le 14 juin 2017 à l'université Lyon 2, en présence de Charles Gardou. L'occasion de croiser différents regards autour de la vie affective et sociale des personnes en situation de handicap.

© Fotolia + DR Fournier

 

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Aimée Le Goff, journaliste Handicap.fr"

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