20/05/2017

Accompagnement sexuel: une asso anti-prostitution dit non !

Résumé : L'accompagnement sexuel des personnes handicapées fait débat. La position du NID* est tranchée : c'est une réponse mécanique qui renvoie les usagers à leur solitude. Il y a d'autres modèles à imaginer selon sa porte-parole, Claire Quidet.

 

Handicap.fr : Quelle est la position du NID concernant l'accompagnement sexuel des personnes handicapées ?
Claire Quidet : Il est évident que notre association étant très investie dans le champ de la lutte contre la prostitution, ce sujet attire notre attention depuis une dizaine d'années. Nous lui avions même consacré un dossier dans notre magazine « Prostitution et société ». Notre association s'est penchée sur cette question en essayant d'être la plus ouverte possible.

H.fr : Quelle est votre réponse ?
CQ : Pour nous, il s'agit clairement de prostitution, et donc une mauvaise réponse à une bonne question. La première chose qui nous est apparue, c'est qu'une telle pratique oblige à modifier la loi sur le proxénétisme parce que, en l'état, tout établissement qui organiserait des relations sexuelles pour ses résidents pourrait tomber sous le coup du proxénétisme, tout comme, par exemple, les hôtels qui permettent des relations tarifées. Mais, assouplir la loi, c'est très grave…

H.fr : Vous avez analysé de qui venaient principalement les demandes ?
CQ : Oui et, sans que cela ne soit une surprise, elles émanent essentiellement des hommes. Ça nous a mis la puce à l'oreille et nous nous sommes dits : 'Tiens, c'est comme pour la prostitution dite « classique »'. Curieusement, ce sont toujours des hommes ! Une fois encore, l'homme considère qu'il peut avoir accès à la sexualité en toutes circonstances et en tous lieux.

H.fr : L'accompagnement sexuel n'est pas forcément prodigué par des prostituées…
CQ : J'en doute. Qui d'autres qu'elles ? Or les personnes prostituées n'en viennent pas à cette activité par choix mais à cause de parcours de vie chaotiques. Elles n'entretiennent pas des relations sexuelles « désirées » même si elles sont « consenties » par besoin d'argent. Les conséquences de la prostitution sur ces femmes sont très sérieuses. Et donc, pour combler la détresse d'une personne, il faudrait exploiter celle d'une autre ? Tant que la prostitution existera, pour certains hommes, toutes les femmes seront potentiellement achetables. C'est malheureusement encore très présent dans nos sociétés imprégnées de culture patriarcale.

H.fr : Mais si la relation n'est pas tarifée, ce n'est plus de la prostitution…
CQ : C'est vrai mais je doute qu'il y ait tant de volontaires prêts à s'engager par altruisme. Je ne crois pas au bénévolat dans ce domaine.

H.fr : L'Appas, qui met en place des formations dédiées, accueille des personnes non prostituées, parfois issues du médico-social…
CQ : Comment s'assurer de la motivation de ces gens soit disant formés ? Comment éviter les dérives en termes de violence ou d'abus dont, on le sait, sont parfois victimes les personnes handicapées ? Et, in fine, comment s'assurer du réel désir de la personne handicapée ? Et j'ajoute qu'il serait vraiment dérangeant qu'un professionnel puisse proposer ce type de service au sein de son propre établissement. Il ne faut pas mélanger les genres.

H.fr : Le film américain The sessions raconte pourtant l'histoire d'une psychothérapeute qui pratique l'accompagnement sexuel. Et c'est une histoire vraie.
CQ : Cet exemple est assez exceptionnel, l'arbre qui cache la forêt.

H.fr : Certains pays européens ont néanmoins légalisé l'accompagnement sexuel…
CQ : Je ne pense pas que ce soit une réussite, et certains commencent à faire marche arrière face aux dérives. Je vais vous citer un exemple, aux Pays-Bas. Un syndicat d'infirmières s'est rebellé car, après la mise en place de ce type d'accompagnement dans certains établissements, elles se plaignaient du harcèlement qu'elles subissaient car considérées comme « sexuellement disponibles ».

H.fr : Il n'existe donc pas un droit à la sexualité ?
CQ : L'OMS (Organisation mondiale de la santé) dit en effet qu'elle est une composante de la santé. C'est une question délicate. Mais, si on n'a pas de partenaire, est-ce à la société de pourvoir ce besoin ? A ce titre, quid des personnes très âgées, en prison… Partant de ce principe, pourquoi pas un « service public de la sexualité » mis en place par l'État ? On va trop loin et, plus globalement, cette question interroge sur l'injonction à la performance, y compris sexuelle. Notre société est hyper sexualisée, notamment à travers la pub. Nous sommes bombardés par ces fantasmes qui nous mettent, parfois, dans des situations de mal être.

H.fr : Mais n'est-ce pas un besoin « vital » ?
CQ : Non, un besoin vital, c'est manger, boire, dormir. On peut souffrir de ne pas avoir de sexualité mais on n'en meurt pas. La réponse proposée par l'accompagnement sexuel est trop « mécanique » qui risque de renvoyer ses usagers à leur solitude. Vous savez, les clients de la prostitution « classique »  se sentent souvent honteux et déçus ; ils recherchent une relation plus profonde. Certains nous disent : « On n'a même pas eu le temps de parler ». Le remède est alors parfois pire que le mal.

H.fr : Pouvez-vous entendre que certaines personnes handicapées vivent dans un isolement qui les condamnent à ne pas avoir de vie affective ?
CQ : Et c'est bien là le problème, vous avez employé le mot « affectif ». Je peux comprendre cette détresse mais ne faudrait-il pas plutôt leur permettre de participer à la vie sociale, d'accéder à des lieux de socialisation, les rendre plus visibles ? Les « valides » auraient alors peut-être moins d'a priori et les personnes handicapées plus d'occasions de rencontres. L'accompagnement sexuel est une réponse réductrice et facile, moins engageante et coûteuse qu'une réflexion de fond. Une façon pour la société de se dédouaner de ses responsabilités. De cette façon, les personnes handicapées sont toujours renvoyées dans leur « ghetto » ; on ne cesse de mettre en place des mesures spécifiques pour elles. C'est une réponse que je juge indigne, en tout cas pas respectueuse des personnes concernées…

H.fr : Alors que proposez-vous ?
CQ : Il faut créer des lieux de parole autour de cette question. Si l'on prend l'exemple des établissements, on y parle très rarement de sexualité et la plupart du temps les relations entre résidents sont prohibées. Y compris dans les appartements en ville gérés par les Sessad (services de soins à domicile). Par peur d'une grossesse, notamment. Il faut réfléchir à la façon dont on peut favoriser ces relations. Le fait de laisser les personnes concernées s'exprimer dans la mesure de leur possibilité, c'est important. Nous avons eu connaissance d'un établissement où l'on collait les résidents devant un film porno ; vous imaginez les conséquences…

H.fr : Mais il n'y a pas que la parole…
CQ : Non, bien sûr. Une infirmière m'expliquait que, dans son institution, on aidait des couples à accéder à plus d'intimité, par exemple en les plaçant nus l'un contre l'autre pour leur permettre de se toucher, de se caresser, d'avoir une vraie relation affective… On peut aussi imaginer des séances de massage, une option qui détend et fait du bien. Toutes les aides sont les bienvenues mais sans omettre le côté relationnel.

H.fr : On entend parfois dire que, faute de solution, certaines mamans sont contraintes de masturber leur enfant…
CQ : C'est l'exemple qu'on nous sort tout le temps. C'est clairement de l'inceste. Et puis, imaginez le contraire, un père qui satisferait au besoin de sa fille ! Une maman nous a apporté son témoignage sur cette question ; alors qu'elle aidait son fils lourdement handicapé à prendre son bain, il a eu une érection. C'était douloureux pour elle mais elle nous a clairement expliqué qu'il y avait pour elle une frontière infranchissable, des gestes impossibles entre une mère et son fils. Elle lui a longuement parlé, lui a dit que cela n'appartenait qu'à lui. Il faut aussi dissocier la réaction physiologique du désir.

H.fr : Avez-vous déjà débattu de ce sujet avec l'Appas, fervent militant de l'accompagnement sexuel et affectif ?
CQ : Disons que nous les avons croisés souvent à l'occasion de débats, aux côtés de Femmes pour le dire Femmes pour agir (FDFA), association dédiée aux femmes handicapées avec laquelle nous avons milité en 2012 pour l'abolition de la prostitution. Les échanges ne sont pas simples, et pourtant il y a des choses à creuser et des moyens d'être plus créatifs…

H.fr : Il existe plusieurs films qui traitent de la quête de sexualité des personnes handicapées, comme Viva la Vida ou Nationale 7
CQ : Oui et cette question est parfois abordée de façon assez ludique, à travers un road-movie plutôt sympathique qui mènent les protagonistes vers un bordel espagnol. Mais la réalité est toute autre. C'est un fantasme cinématographique complet, alimenté par la nostalgie des bordels comme dans Belle de jour ou Pretty woman. Mais la réalité est à des années lumières, tellement plus sordide…

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